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Il riait comme un singe, la bouche grande ouverte, mais sans émettre aucun son. Un jour, il avait plongé la tête sous l’eau et, de retour à la surface, s’était mis à rire comme un tordu. « Tout le monde a trouvé ça amusant, racontait Ada. Il a replongé, il est remonté, a recommencé à se bidonner. Ça faisait marrer tout le monde. Puis il a plongé encore une fois, mais n’est pas réapparu. Moralité : mieux vaut ne pas faire la même tête quand on rit et quand on se noie. »
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« Je peux vous poser une question, mademoiselle? risqua-t-il.
– Mais bien sûr, dit elle.
– Savez-vous à quoi vous me faites penser?
– Non.
– Je n’ose pas vous le dire.
– Mais allez-y!
– A un magnifique soufflé.
– Un soufflé?! »
Telles furent les premières paroles qu’échangèrent Ada et Otto.
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Si l’idée était, pour chaque année de mariage supplémentaire, de trouver quelque chose de plus noble pour symboliser leur union, alors les tulipes et le chou-fleur étaient tout indiqués. Il y avait eu les noces de gâteau à la carotte et aussi une année où ils avaient décidé de fêter leurs noces d’os,juste pour le plaisir de l’assonance, tout en reconnaissant volontiers que l’os n’était en rien supérieur à la turquoise, à l’argent ou au corail. L’année de la disparition d’Ada, ils auraient célébré leurs noces de couverture à carreaux.
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Il se leva et, en traînant des pieds, alla se brosser les dents et se laver le visage avec deux types de savons antibactériens – l’un éliminait 99.8 % des bactéries et l’autre 99.7 %. A eux deux, ils feraient donc mieux qu’exterminer les micro-organismes nocifs : sa peau afficherait un solde créditeur.
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Chez moi, j’ai dû arracher la moquette à cause des chiens, ils passaient leur temps à lever la patte dans tous les coins, après bonjour les taches, énormes, jaunasses. Du coup, chaque fois, il fallait que j’achète un meuble que j’installais au-dessus de l’auréole pour camoufler, si bien que le salon était plein à craquer avec tout ce mobilier et il flottait dans l’air comme une odeur de bibliothèque, des poils et de la poussière partout, en plus je me cognais à longueur de temps contre les tables, les guéridons, les commodes.
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Malgré tout, il existait au-dehors un monde plein de fugus, de calamars neurasthéniques et de plongeurs ayant une furieuse envie de pisse, si bien que ce matin-là Otto passa commande à Nico d’une cargaison de boules Quies, par paquets de deux, pour se couper du bruit et des conversations des voisins.
©Texte : Vanessa Barbara – Les nuits de laitue [Zulma // 2015]
©Photographie : Maya Almeida [Urban Solitude]